L’art de poser sa voix sur scène. Et utiliser les silences

Mireille Roux-Faure et Guy Dieppedalle. Le malade imaginaire. Rouge banane Théâtre

Billet d’humeur

Je t’écris aujourd’hui en tant que comédien. L’un des exercices les plus difficiles qu’il m’ait été de connaître : Apprendre à placer ma voix sur scène face à un public. Et valoriser les silences.

Apprendre les silences

Le vide crée l’anxiété. Sur scène, comme comédien, la tendance que nous avons est donc de toujours tenter de combler les manques. Les espaces. De plus, le tract te prends et en rajoute. Alors l’exercice de dire un texte, lentement, en respirant, en articulant, en permettant aux silences de s’y glisser, semble complexe

L’énergie du corps

Un temps de silence, ne serait-ce que deux secondes, offre l’opportunité à ton corps de se remettre droit. Debout. Les pieds enracinés sur les planches du théâtre. Vers la terre. Le haut de la tête tendue vers le ciel. Comme l’arbre de la vie. Ancrage corporel. Nuque ferme. Regard puissant. Sourire intérieur. Energie. Passion. Détente. Avant l’assaut des mots.
Un court espace libre de mots nous aide à prendre du recul. Reprendre le souffle. C’est-à-dire la vie. Sentir sa respiration

La force de la respiration abdominale

Sur le plan émotionnel.
Le silence et la voix puisent leur force dans la Respiration Abdominale. Car c’est l’abdomen qui parle et qui chante. Les émotions se jouent dans tes tripes. Ton corps entier doit vibrer. Exprimer tes passions.
Sur un plan purement technique, la respiration abdominale évite de flétrir tes cordes vocales. Ce n’est pas à la gorge de s’exprimer fondamentalement. Ce n’est pas son rôle.
Prendre de la puissance. Comme un oiseau s’élance dans le ciel. Le plus loin possible. Sur scène, ta voix doit s’adresser aux spectateurs qui se trouvent au dernier rang. Là-bas. Au fond de la salle. Même si tu t’adresses à ta partenaire ou ton partenaire en direction de Cour ou Jardin. Ou dos au public. C’est le spectateur du fond de la salle qui doit entendre et comprendre

Le poids de l’imaginaire et le respect de l’auteur

Le public s’engouffre par la porte des silences. Afin de mieux comprendre le présent des mots. Ouvrir la fenêtre de l’imaginaire. Acte de créativité. Les mots naissent du silence. La pièce prend vie. Le respect de l’auteur : Tu es un intermédiaire entre l’auteur d’un texte et le public venu l’écouter. Le déguster. L’interroger. Tu es un passeur. Tu es la re-naissance d’un texte. Un récit couché sur le papier. Tu lui apportes un corps et une voix. Difficile de le martyriser. Difficile de sauter une virgule, un point-virgule, un point, sans dénaturer l’œuvre de l’auteur. Si celui-ci a prévu de marquer une fin de phrase par un point, c’est un arrêt. Comme un « Stop » sur ta route. C’est le moment où le silence doit prendre la parole.

La force de l’articulation

Le silence est un levain dans la pâte du souffle. La puissance du souffle donne sa force à l’articulation des paroles et des phrases. L’articulation se nourrit de ces minuscules silences emmagasinés dans la reprise de ta respiration. Elle caresse chaque mot. Le pétrit. Le met en valeur. Suggère. Précise. Nuance. Colorie. Réchauffe ou refroidit. Comme un plat que tu as soigneusement préparé pour recevoir dignement tes invités : Le public.
 
Guy Dieppedalle
Architecte de mots éphémères
Janvier 2019